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  • Photo du rédacteurVirginie Riauté

retour de lecture : Chaos de Luca Tahtieazym


Le Blanc. Il est partout. Il recouvre tout. Il n’y a rien d’autre. L’enfer du néant. Il neige sans discontinuité depuis plus d’un an. Plus de relief, plus de végétation, plus de bâtiment. Des hardes de loups, quelques trop rares gibiers, tout le reste est enseveli sous la neige. Seuls survivent quelques hordes organisées. Les hommes vivent en groupes, des alpha aux oméga, des adultes pour lesquels subsistent encore quelques valeurs, quand d’autres n’en ont cure, des plus fragiles versant dans le fatalisme et la torpeur, alors que d’autres sombrent dans la léthargie, promesse d’une mort certaine. Réchauffement climatique ? Punition divine ? Point de discours moralisateur, là n’est pas la question, l’intrigue se situe ailleurs.

Première partie, l’auteur narrateur s’est mis dans la peau de cette femme sans âge , autrefois jolie, bienveillante, bout-en-train qui marche seule, raquettes aux pieds. Elle ne nous donnera pas son prénom, se fait simplement appeler Blanche-Neige et tire sa vie et ce qu’elle a de plus précieux sur son traîneau. Pourquoi est-elle seule, où va-t-elle, dans quel but ?

Elle est devenue une guerrière, solitaire. Son unique objectif est de survivre pour retrouver l’Autre.

J’ai toujours respecté le travail d’auteurs comme Ellory, Ellroy ou Steinbeck pour leur ingénieuse capacité à installer une atmosphère tout en laissant suffisamment de liberté aux lecteurs, sans les contraindre. Il me semble que dans ce roman, l’élève a dépassé ses maîtres, ses mentors.

Les métaphores, les figures de style sont des éléments essentiels à cette narration. Le vocabulaire est riche, allégories et oxymores se mêlent au blanc pour y apporter profondeur et relief. On intègre alors les informations comme si on les vivait soi-même. Si dans ce genre de dystopie comme dans le roman de Cormac McCarthy par exemple, j’avais eu du mal à accepter l’inacceptable, ici, les motivations de chacun, la survie, les codes, les valeurs, la morale tout est si bien amené, qu’on en vient à comprendre, admettre les choix, les options de survie qui peuvent s’imposer, même si on ne les cautionne pas.

Si peu d’auteurs sont capables d’écrire des phrases de 8, 9 lignes sans que cela soit rébarbatif, avec Luca, les yeux roulent sur les mots alambiqués, le lecteur ingurgite le conditionnel passé deuxième temps et le subjonctif imparfait, et tout semble glisser comme des spatules sur de la neige.

La deuxième partie démarre alors qu’on est encore sous le choc des révélations en pointillés de la première. Que s’est-il passé ? Pourquoi ? Qui est Blanche Neige ? Que cherche-t-elle ? Tant de questions…

On change de style dans la narration, puisque l’on passe à l’imparfait et le narrateur n’est plus qu’un observateur puisqu’il s’exprime à la troisième personne du singulier.

C’est maintenant l’Autre qu’on va suivre en gardant le fil chronologique mais sans savoir qui il est.

Et c’est seulement dans les 15 dernières pages du roman, que les deux parties vont converger, les protagonistes se démasquer, toutes les pièces du puzzle s’imbriquer les unes aux autres.

Je lis la fin, elle me glace le dos puis relis les deux citations du début, celle de Cyrulnik, puis celle de Confucius...le poids des mots…

J’ai adoré la construction de ce roman. Les derniers mots de chaque chapitre sont une amorce au suivant, un sésame. Malin, joueur, audacieux.

J’apprends aussi que Luca avait écrit une première mouture du récit en 2004 et que cette histoire a été remaniée plus de 10 ans plus tard, pour être enfin proposée au public.

J’ai lu à ce jour quatre romans de cet auteur. J’ai retrouvé avec plaisir quelques noms parmi les protagonistes qui reviennent souvent : Élise, Nagib, Angus… Des personnages certes différents, selon les circonstances et leur environnement mais pas tant que cela sous certaines caractéristiques, comme si une certaine constance demeurait, une évolution, une logique.

Alors mon esprit divague un peu jusqu’à l’atelier imaginaire de l’auteur.

Je l’imagine, artisan marionnettiste, un Gepetto. Il dépose là ses personnages une fois son récit terminé, ils attendent silencieusement que son esprit fertile leur fabrique une nouvelle existence, un nouvel avenir, un nouveau passé, d’autres blessures, de nouveaux espoirs… et lorsque de son cerveau hyperactif jaillit un nouveau scénario, il choisit sa marionnette, la façonne lentement, précautionneusement, la modèle minutieusement car les personnages dans les romans de Luca ont une importance capitale. Il n’y a point de second rôle. Il leur offre un vocabulaire si riche qu’il me faut parfois Google à portée de main, et moi aussi, je deviens un personnage de pâte à modeler, j’apprends, je fais l’éponge. Je suis riche de ses histoires, de ses élocutions si parfaitement formulées et cette sensation est simplement exaltante. Chapeau l’Artiste.

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